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Philippe Ligron

Les belles histoires du terroir

20.03.2020 / FAO n° 23

Truculent, grande gueule, passionné de cuisine autant que de ceux qui mangent, Philippe Ligron nous confesse son péché mignon : raconter des histoires.

Les belles histoires du terroir
La «soupe» d’aujourd’hui demeure l’insupare de nos ancêtres, qui trempaient leur pain très dur dans un bouillon très chaud.
Crédit photos: vpardi – stock.adobe.com

Que les Vaudois se préparent à l’affront : côté terroir, c’est un Français de Camargue qui en connaît un rayon. Ancien professeur de cuisine de l’École hôtelière de Lausanne où il a officié pendant plus de 25 ans, Philippe Ligron a enfilé la veste de chef à la Food experience de l’Alimentarium de Vevey en 2016. Une pédagogie innée et gouailleuse qui le poussera à monter bientôt sur les planches avec une conférence-spectacle sur nos habitudes alimentaires.

Devenu le spécialiste de service des usages anciens de la gastronomie, Philippe Ligron nous régale de sa voix chaleureuse tous les matins de la semaine dans Bille en tête sur la Première pour une découverte joviale du terroir romand. L’Histoire, «une passion de gosse», remonte à loin : ses westerns à lui, c’étaient les croisades des chevaliers cathares où Simon de Montfort et Raymond de Toulouse remplaçaient les cowboys et les Indiens. Arrivé en Suisse en 1987, ce fils de restaurateur a soigneusement sauté la case «restaurant» pour devenir professeur de cuisine à l’École hôtelière de Lausanne où il rencontre Vladimir Durussel en 1990, «celui qui a mis de l’Histoire dans mon histoire » explique-t-il, encore ému.

  

Par monts et par Vaud

En gastronome de grand chemin, c’est dans le cadre majestueux de l’Auberge de l’Abbaye de Montheron qu’il a développé son concept de banquet médiéval en 2011. Mais attention, foin de folklore ou de soirée déguisée : de l’authentique brouet au gravé d’écrevisses en hochepot, l’homme conçoit historiquement, prépare et surtout explique, entre chaque service. «Quand je dis aux gens qu’il n’y a pas de fourchette sur la table, car elle n’a pas encore été importée en Europe à cette époque et qu’ils vont devoir manger avec leurs mains, je sens toujours un léger frémissement dans la salle», raconte-t-il avec espièglerie.

Mais cela n’empêche manifestement pas les gens d’en redemander. Philippe Ligron a ainsi décliné ses repas médiévaux aux châteaux de Chillon et d’Oron et proposé en 2016, toujours à Montheron, des repas XVIIIe inspirés du fameux ouvrage du Vaudois François de Capitani Soupes et citrons. Parmi ses « ligroneries », il se souvient en riant de ses repas Renaissance au fin fond des mines de sel de Bex ou d’orgies romaines monumentales dans les arènes d’Avenches !

 


C’est dans les vieilles casseroles…

Ce regain d’intérêt pour la gastronomie ancienne est-il de bon augure ? «Il y a surtout un attrait pour le côté ludique, un goût très en vogue pour les expériences atypiques… Mais j’ai de plus en plus tendance à penser que c’est un signe des temps plus profond : tout va tellement vite que les gens ont besoin de revenir aux fondamentaux, à quelque chose qui leur parle». S’il avoue être impressionné par le vocabulaire de plus en plus technique des gastronomes, qui peuvent décortiquer nos cinq sens par le menu, Philippe Ligron déplore que notre culture moderne ait perdu de vue l’essentiel: le sixième sens, celui du souvenir. «On a tous une madeleine de Proust; moi c’était la chichoumeille de ma grand-mère (ndlr : une ratatouille typique du Languedoc) et l’Histoire de la gastronomie, c’est ça aussi. Et de citer l’exemple de l’insupare de nos ancêtres qui trempaient leur pain (un «tranchoir» très dur) avec un bouillon très chaud. 

«Cela a donné le mot «soupe» et quand je vois mon fils Basile jeter des croûtons dans la sienne, je ne peux m’empêcher de sourire… Est-ce un instinct physiologique pour l’homme de ramollir son pain? Quelque chose comme une hérédité?»

Toujours est-il que pour notre historien – qui vient de commercialiser un ketchup «zéro déchet» et 100% local avec son fils Félix – joindre le geste à la parole est indispensable et on ne peut se nourrir que de mots.