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Chercher la petite bête

Les animaux exotiques envahissants à la loupe

19.11.2021 / FAO n° 93

Néozoaires! Ce qui aurait pu être un juron jovial du Capitaine Haddock n’est que le terme scientifique pour désigner les espèces animales exotiques envahissantes. Nuisibles à notre biodiversité, elles peuvent également représenter un danger direct pour notre santé comme le moustique tigre. Examen à la loupe de ces petites bêtes qui montent dans nos régions.

Les animaux exotiques envahissants à la loupe
Daniel Cherix : «Sans prédateurs sur leur nouveau terrain, les espèces exotiques s’acclimatent et finissent par exploser.»
Crédit photos: Nicole Chuard – UNIL

Biologiste et entomologiste, Daniel Cherix est professeur honoraire au Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne. Sa retraite? Il la passe activement comme mandataire pour le Canton de Vaud, lequel recense aujourd’hui 26 espèces de néozoaires sur son territoire. Membre de la conférence nationale du Cercle exotique suisse, Daniel Cherix est un relai précieux pour documenter et suivre l’évolution de certaines petites bêtes responsables de grands maux comme le frelon asiatique, la fourmi Tapinoma magnum, le moustique tigre ou la punaise marbrée, dite aussi diabolique.

La faute à Christophe Colomb
«La majorité des espèces exotiques sont au départ presque invisibles. Sans prédateurs sur leur nouveau terrain, elles s’acclimatent progressivement puis finissent par exploser», explique Daniel Cherix. Identifiée à Saint-Sulpice en 2012, la fourmi Tapinoma magnum vivait tranquillement dans le bassin méditerranéen. En migrant vers le nord, elle a changé de comportement et créé de super colonies, devenant carrément envahissante. «Ici, c’est clairement l’achat de plantes exotiques qui est à l’origine de cette importation malheureuse. Il faut prendre conscience de ses actes, met en garde Daniel Cherix. Ce n’est jamais anodin de déplacer des plantes, des animaux et même des objets à travers les frontières.» L’exemple le plus frappant? Sans conteste l’arrivée du frelon asiatique sous nos latitudes: «Un homme a commandé de la poterie de Chine. Dedans nichaient trois jeunes reines. L’une a résisté et colonisé une partie de l’Europe!»

Pour Daniel Cherix, dont les années d’expérience n’ont pas entamé l’espièglerie, le problème existe depuis 1492 à cause de Christophe Colomb… «La globalisation du commerce échevelé et sans contrôle n’a fait qu’accentuer le problème».

Prévenir plutôt que guérir
Malheureusement, les moyens de lutte sont limités et l’éradication complète des espèces nuisibles, inenvisageable. Entre l’interdiction des pesticides – qui ont de toute façon peu d’impact sur ces espèces résistantes – et des moyens financiers encore limités, on est un peu dans le système D, comme le prouve l’ingénieux barrage du Boiron, inauguré cet automne.

Pourtant, martèle Daniel Cherix, le mieux est surtout d’intervenir le plus tôt possible afin de limiter les accroissements de population. À cet égard, l’aide de chacun est vivement sollicitée: les apiculteurs sont les indicateurs privilégiés pour les frelons asiatiques, prédateurs de nos abeilles indigènes. Et tout citoyen, à l’échelle de son balcon ou de son jardin, peut collaborer en signalant des cas de néozoaires. Une «science participative» qu’encourage joyeusement Daniel Cherix.»


La présence du moustique tigre est en expansion dans le canton de Vaud.

Les moustiques tigre sont-ils lâchés?
Potentiel vecteur de maladies graves comme la dengue, le chikungunya ou zika, le moustique tigre est au centre de l’attention depuis qu’il a fait son apparition au Tessin en 2003, puis en 2019 dans le canton du Valais et de Genève. Selon les derniers chiffres communiqués, sa présence sur le territoire vaudois est en expansion.

Ce petit moustique noir et blanc – qui ne fait pas de bruit et pique en plein jour – adore se reproduire en milieu résidentiel où il n’a pas de prédateurs, dans de modestes surfaces d’eau stagnante. Première solution ? Vider et bien nettoyer chaque semaine tout arrosoir ou pot remplis d’eau de pluie.

Responsable du Centre de signalement ouest du Réseau suisse moustiques, Daniel Cherix insiste sur la participation citoyenne. «Il est très simple de signaler un individu en envoyant une photo sur le site internet. C’est un outil précieux de surveillance puis d’intervention». Outre les pièges – quatre stations et plus de 60 pièges relevés tous les quinze jours dans le canton de Vaud – un traitement bactériologique à l’aide du bacille de Thuringe au niveau des bouches d’évacuation des eaux claires, permet de limiter la prolifération. «On ne l’empêchera pas de s’installer, mais on a les moyens d’éviter les problèmes».

www.moustiques-suisse.ch

Un barrage contre les écrevisses américaines

À Yens, le barrage sous le pont du Moulin aux Loups empêche les écrevisses américaines de remonter le Boiron.

Pour tenter de sauver nos dernières écrevisses indigènes colonisées par les écrevisses américaines, Sylvain Kramer, garde-pêche de la région, s’est inspiré d’exemples suisses alémaniques pour faire réaliser un barrage sous le pont du Moulin aux Loups à Yens, où coule le Boiron: des plaques en inox qui empêchent la montaison des écrevisses américaines sans contrarier le frai des truites. Quant aux piles du pont, elles bloquent le passage aux néozoaires du pays de l’Oncle Sam, assez robustes pour avancer dans l’herbe sur plusieurs mètres… Fier de cette première dans le canton, Sylvain Kramer se dit confiant même s’il concède que les espèces exotiques envahissantes sont une véritable bombe à retardement. L’autre fléau en ligne de mire? La moule quagga, qui est en train de coloniser nos fonds lacustres et qui peut par exemple utiliser l’écrevisse américaine comme support jusqu’à l’étouffer. «Mais je peux parier que, dans dix ans, il y a un nouveau truc qui mangera la quagga», prophétise Sylvain Kramer.