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Suchy

Suchy, sereine comme un bison à l’œil impavide

Juché sur les Côtes de Chalamont, une colline du Nord vaudois qui domine Orbe et Yverdon, le village agricole

de Suchy a attiré ces dernières années de nombreux nouveaux habitants, certains avec quatre pattes, de retour

après mille ans d’absence…

Parti d’argent et d’azur à deux clefs en sautoir de l’un à l’autre.

Une partie de la terre et des hommes de Suchy paraît avoir appartenu très tôt aux sires de Grandson. Le reste, relevant à l’origine de l’évêque de Lausanne, fut acquis par Othon 1er de Grandson en 1299. Peu après, Suchy tout entier fut englobé dans la seigneurie de Belmont. En 1917, la commune a choisi pour ses nouvelles armoiries un champ parti aux émaux des Grandson, avec les clefs de saint Pierre, patron de l’église au Moyen Age.

Dans le couvert forestier de Suchy, récemment déplacé, un poète anonyme a écrit sur un bout de charpente, en lettres bleues bien soignées : «Suchy, cité sereine, assise comme une reine, tu domines la plaine». Sereine, Suchy? Le village a presque doublé le nombre de ses habitants en 20 ans. Les nombreuses vaches qui lui valaient le peu charitable surnom de Suchy-les-Beuses sont devenues rares, même si la tradition agricole du village perdure. Suchy bouge, se transforme et s’adapte à la modernité. Mais la commune tient à garder sa sérénité et entend relever un par un les défis liés à cette forte augmentation de population: 652 habitants fin 2019, soit 100 personnes de plus en trois ans.

Est-ce dû à la situation géographique particulière ? Plantée en haut des Côtes de Chalamont, dominant la plaine de l’Orbe, observant de haut Chavornay, Orbe et Yverdon-les-Bains, Suchy, pourrait-on dire, se met en retrait de l’agitation qu’elle peut presque mesurer en comptant les camions de l’autoroute A1 passant dans le contrebas. Et si ce surplomb géographique ne suffit pas à la méditation, ses 230 hectares forestiers parcourus par des chemins multiples se croisant à angle droit, comme à Manhattan ou à la Chaux-de-Fonds, suffisent à se perdre tout court ou à se perdre dans ses pensées, à trouver un coin d’ombre quand le soleil tape, à se protéger du vent lorsque la bise s’abat sur le village. En retrait du monde, mais en prise avec celui-ci. Suchy n’est pas loin de l’autoroute, pas loin des zones de commerce et de travail. Elle accueille des habitants heureux d’habiter ce havre à la fois si près des activités et si loin du stress. Elle joue aussi un petit rôle dans la lutte contre l’appauvrissement de la biodiversité en participant à un projet qui a fait connaître le village loin à la ronde : l’accueil de bisons d’Europe.

Une Sultane à Suchy

De mémoire d’habitant, Suchy n’avait jamais fait les gros titres des médias suisses et romands. Jusqu’en novembre 2019. Là, pratiquement tous les médias ont commenté un évènement unique en son genre, une grande première qui clôt plus de dix ans de tractations et marque la concrétisation d’un projet mené par Alain Maibach, biologiste, et Michel Mercier, garde forestier : construire dans les bois de Suchy une cellule de conservation du bison d’Europe. Cet animal aurait aujourd’hui disparu si quelques personnes n’avaient pas tout fait pour le maintenir en vie dans les forêts de l’Europe de l’Est. Il ne restait qu’une poignée d’individus dans les années 1920, un peu moins de 7000 aujourd’hui. Après avoir été progressivement réintroduit dans la nature, plus précisément dans la forêt de Bialowieza, en Pologne, les scientifiques se sont rendu compte qu’il était impératif de créer des populations indépendantes et assez éloignées les unes des autres afin d’éviter que l’espèce puisse être décimée par les maladies issues de la consanguinité.

Le bison d’Europe ne se confond pas avec le bison mieux connu, le cousin d’Amérique. Celui-ci est potentiellement menacé alors que celui-là est classé comme vulnérable, avec seulement 1000 individus reproducteurs. Le bison européen est un animal de forêt et non de plaine. Il est aussi moins massif et son corps est moins ramassé que le bison américain. Si l’Auberge communale de Suchy propose de temps à autre du bison à sa carte, soyez sûrs que c’est du bison d’Amérique…

Le bison d’Europe, qui a vécu en Suisse jusqu’au XIe siècle revient donc au pays, mille ans plus tard, même si on ne peut pas parler de réintroduction (voir encadré). Plus précisément, quatre femelles et un mâle viennent de Pologne en novembre 2019 pour s’établir dans nos forêts. Surprise : l’une des femelles est portante. Le 15 juin 2020 naît un bisonneau femelle. Comme il est obligatoire que les noms des animaux commencent par les deux premières lettres de la terre d’accueil, elle reçoit un nom en Su-, qui sera Sultane. Une cellule de conservation n’étant pas un zoo, il n’est pas toujours facile d’apercevoir les animaux, discrets et paisibles. Un chemin a été aménagé tout autour du premier parc qui accueille ces animaux et avec un peu de chance et beaucoup de patience, on se rend compte que l’acclimatation de ces bêtes à nos forêts se passe fort bien.

Une cellule de conservation du bison d’Europe de quoi on parle ?

Plusieurs promeneurs demandent à la commune où voir les bisons.

Réponse : on n’en sait rien nous-mêmes, car le parc qui leur est réservé occupe plusieurs hectares. Il ne faut pas s’attendre à des aménagements pour l’observation de la part du public, de type « Juraparc », et donc il faut jouer de chance ou user de patience. Une cellule de conservation génétique a d’abord et avant tout un but de sauvegarde d’une espèce menacée.

On ne peut pas parler non plus d’une réintroduction d’une espèce en Suisse. Il s’agit plutôt d’une délocalisation des cinq animaux en provenance de Pologne et d’un lâché en semi-liberté dans des grands enclos, dûment clôturés. L’objectif de la cellule de Suchy est de pérenniser l’espèce en la faisant se reproduire et en la protégeant des épizooties. Dès les premières naissances, les animaux seront marqués et, selon les décisions de l’association de protection européenne de l’espèce, plusieurs pourraient être redirigés vers d’autres cellules similaires en Europe.

Une terre qui passe d’un seigneur à un autre

Suchy était au départ un marais – même si on a trouvé non loin quelques traces d’une occupation romaine. En 888, Suchy passe dans le giron de l’Eglise de Lausanne, après avoir été aux mains du prince carolingien Charles le Gros. Au XIIe siècle, Suchy passe à la Seigneurerie de Bavois, puis à Aymon de Faucigny, Pierre de Savoie, Béatrice de Thoire-Villars avant un retour à l’évêque de Lausanne en 1276. C’est au tour de la seigneurerie de Grandson et Belmont de se voir attribuer les terres de Suchy en 1347, une situation qui se stabilise enfin.

En 1367, les habitants de Suchy sont exemptés de la mainmorte, ce qui déplut aux commissaires du Duc de Savoie. Mais le papier signé d’Othon de Grandson tint bon et fut confirmé en 1432. Entretemps, en 1407, des tensions se firent jour entre Suchy et Belmont, le village voisin. Le château avait besoin d’être réparé, mais Suchy refusa de participer et de livrer son écot de 14 livres. Belmont demanda 100 livres d’amende et obtint gain de cause devant leur châtelain François de Russin le 21 avril 1409. Pour obtenir paiement, Belmont mit sous saisie le four communal de Suchy et des chevaux appartenant à des particuliers en 1410. Suchy recourut au bailli de Vaud, mais rien n’y fit : la sentence du châtelain de Belmont fut confirmée. Est-ce à dire que les gens de Suchy sont obstinés, têtus, et un peu radins sur les bords ? En tout cas, la collaboration intercommunale fonctionne mieux que par le passé…

De toute évidence, Suchy possédait au XVe siècle. une chapelle dédiée à Saint-Pierre. Le curé d’Ependes y officiait. Les clés sur fond blanc et azur qui figurent sur les armoiries rappellent d’ailleurs que la chapelle de Suchy était jadis consacrée à St-Pierre, tandis que les couleurs bleue et blanche renvoient à la famille de Grandson. Il faut toutefois noter que les armoiries de Suchy ont été adoptées par le Conseil général de la commune le 19 mai 1917 seulement.

Une modernisation

Le village a toujours eu une vocation agricole. Les corps de ferme actuels sont construits à partir des années 1800 avec plusieurs puits creusés dans la molasse. Les trois fontaines pour y faire boire les bêtes sont un témoignage de cette activité agricole. Les toits des fontaines, récemment rénovés, ont été financés par un citoyen qui avait pitié des dames qui devaient y faire la lessive par tous les temps. L’eau sous pression arrive en 1908 avec la construction du pompage des sources de Bujaillon et de deux cuves sous le château d’eau. Il s’agissait en effet de faire remonter l’eau de la plaine de l’Orbe. Un des rares châteaux vaudois y est construit en 1920 pour augmenter la pression dans le réservoir. Depuis 2012, avec l’arrivée de l’eau sous pression du réseau de la Menthue, le château d’eau est mis hors service mais reste un beau bâtiment qui domine le village et lui donne son identité visuelle.

«Suchy aime avoir son destin en mains et agit pour que les citoyens s’y sentent bien »

Le battoir qui servait de grande salle depuis les années 1960 arrivait à bout de souffle et, percevant la nécessité de modernisation et d’adaptation, les autorités du village ont construit un grand bâtiment multifonctionnel à sa place en 2015, accueillant une auberge communale. Alors que le village a connu deux bistrots bien fréquentés au XXe siècle, celui de «la Rose» et celui de «la Mimi», la retraite pas du tout anticipée de cette dernière, qui a fermé l’établissement en 2012 à l’âge de 90 ans, a aussi enlevé un des rares points de rencontre entre Sécherons. L’auberge communale, qui, selon son patron actuel, Stéphane Richard, a l’heureuse idée de se concentrer sur « la région, d’abord », permet de partager une morce et le verre de l’amitié. Les anciens du village y côtoient les plus jeunes résidents tandis que plusieurs sociétés locales profitent à l’occasion des salles du bâtiment multifonctionnel. Ce dernier est régulièrement animé par des séminaires d’entreprise, des mariages, des repas de soutien, des cours de fitness et des représentations théâtrales. Multifonctionnel est bien l’adjectif qui convient.

La question du lien

Loin d’être un village-dortoir, Suchy a un projet d’aménagement d’une place de jeux de plein air, va créer un terrain de football junior, après avoir rénové les fontaines, transformé un bâtiment communal en appartements et aussi intégré différentes associations intercommunales. Pour un village de petite taille, il devient impossible de fonctionner en complète autarcie: que ce soit pour l’école, la police, l’épuration, l’amenée d’eau et jusqu’à l’équarrissage des animaux, des associations intercommunales de diverses tailles, souvent avec nos voisins historiques que sont les communes d’Ependes et de Belmont, gèrent plusieurs aspects du fonctionnement de la commune. Ensemble, nous sommes plus forts ? C’est ce que se sont dit les municipaux des trois villages en ayant l’idée d’une fusion de communes, projet qui a pris de l’ampleur avec la proposition d’intégrer la grande voisine, Chavornay et ses 4000 habitants. Mais, comme au XVe siècle, Suchy a levé un sourcil soupçonneux et a voulu maintenir sa farouche indépendance en refusant le projet en 2011. Les villages de Belmont et d’Ependes ont par ailleurs également renoncé après la défection sécheronne. Le modèle pour le moment privilégié et apprécié est celui de la collaboration intercommunale plutôt que la fusion.

Est-ce la méfiance vis-à-vis de la «ville»? Toujours est-il que Suchy aime avoir son destin en mains, agit, dans les limites de ses possibilités, pour que les citoyens s’y sentent bien, aime rester à l’écoute des uns et des autres et à accueillir des idées novatrices, comme celle de la création possible d’une escape room à visée sociale dans le château d’eau désaffecté. Elle soutient tant que faire se peut les sociétés locales : entre autres, les paysannes vaudoises, la société de tir, le FC Suchy Sports, mais aussi des sociétés plus inhabituelles : le motocross ou la troupe de théâtre qui officie dans la salle du bâtiment multifonctionnel. Mais ce qui nous unit tous et toutes, très certainement, c’est l’importante fête de l’Abbaye, tous les trois ans, un rendez-vous de la convivialité et de la tradition dans laquelle on fait souvent schmolitz et où, encore plus souvent, on lève le verre. On s’y retrouve les uns les autres, généralement sous le soleil de début juillet, certains anciens Sécherons revenant de loin pour retrouver leurs racines de cœur. Car si on peut, à la rigueur, quitter Suchy, on ne peut pas l’oublier.

Thierry Herman, municipal

Château d’eau de Suchy.

L'ESSENTIEL

Municipalité, de gauche à droite : Antonin Gaillard, Oxana Cholly, Didier Collet (Syndic), Alexandre Muriset, Thierry Herman.

Secrétaire municipale : Virginia Schott | Boursière : Arlette Sunier | Séance de la municipalité : lundi soir.

Conseil général : 79 conseillers.

Adresses utiles : Greffe : ch. du Collège 2 | Heures d’ouverture : 19 h à 20 h ou sur rendez-vous | Tél. 024 441 87 40.E-mail général : commune@suchy.ch | Poste de gendarmerie : Yverdon-les-Bains | Service du feu : SDIS

CE QU'IL FAUT SAVOIR

Syndic : Didier Collet

Nom commune : Suchy

Sobriquet des habitants : Les Sécherons

District : Jura-Nord vaudois

Surface : 667 ha

Arrondissement électoral :Jura-Nord vaudois/Yverdon

Nombre d’habitants : 652

Structure de la population :317 femmes et 335 hommes

Taux d’imposition : 70 %

Paroisses : Pomy – Gressy – Suchy

Manifestations communales :1er août, Motocross

Repas de soutien du FC Suchy

Sociétés locales :

Société de tir Essert-Pittet – Suchy

FC Suchy Sport, Jeunesse

Société d’Abbaye – l’Association des Paysannes vaudoises, le MXCS Motocross Club, l’ACES association du Château d’Eau

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