Des bains à la bouteille
Histoire de l’eau dans le canton de Vaud
05.03.2021 / FAO n° 19
Les histoires d’eau ont toujours plus ou moins la même source, que ce soit en Suisse ou ailleurs.
Pour Lisane Lavanchy, archiviste chez Nestlé (dépositaire d’une partie du fonds documentaire Henniez), tout commence dans l’Antiquité où les eaux de captage se distinguent entre les eaux de surface – transportées grâce aux aqueducs jusqu’aux thermes – et des eaux «plus mystérieuses, odorantes ou bouillonnantes, issues de fontaines sacrées que l’on trouvait dans les bois, aux vertus curatives variées». On venait par exemple aux bains d’Eburodunum (l’actuelle Yverdon-les-Bains) dès le premier siècle de notre ère.
Conçus comme des lieux d’hygiène et de culture, les thermes conservent au Moyen Âge une fonction sociale, mais deviennent des lieux de plaisir, des «étuves» où mixité et nudité sont autorisées et la prostitution tolérée.
À la Renaissance, échaudé par les débordements moraux de ces bains publics et la prolifération des maladies, on développe l’usage de la baignoire privée, on met au point des habits pour la baignade… L’aspect curatif des bains prend alors son essor: on sait par exemple que Montaigne se rendait en cure à Baden, dans le canton d’Argovie, pour y soigner sa gravelle.
Les bonnes eaux du canton de Vaud
L’usage réconfortant pour le corps et l’esprit de l’eau thermale persiste encore de nos jours comme en témoignent les deux grands centres thermaux du canton que sont Lavey-les-Bains et Yverdon-les-Bains.
Pourtant, le véritable pionnier en la matière est le médecin Pierre-François Chauvet qui construisit l’Hôtel des Bains en 1688, à proximité des sources antiques d’Henniez. Yverdon (qui exploite trois sources dont une sulfureuse à 29° C) inaugure son premier établissement de cure hôtelier en 1736.
Les études sur les effets des eaux se multiplient au XVIIIe siècle et le progrès des analyses chimiques permet d’adapter les thérapies aux différentes maladies. Sous l’impulsion des Anglais, la mode d’aller «prendre les eaux» à la belle saison amène en Suisse une clientèle aisée de toute l’Europe. L’engouement perdure au XIXe siècle comme en témoignent feus les Bains-de-l’Alliaz (sur les hauts de Blonay) qui accueillent dès 1811 des hôtes prestigieux, et feus ceux de Bex-les-Bains, alors «station climatérique», ouverts dès 1823. Quant à la source chaude de Lavey, elle attira dès sa découverte en 1831 «un nombre important de malades qui venaient boire l’eau et y tremper des plaies» comme le relate un article de 1953.
La pétillante histoire de l’eau minérale
Pourtant, on associe longtemps l’eau à boire aux bactéries: on la consomme plutôt en soupe et on lui préfère le lait ou les alcools légers pour s’hydrater. Au XIXe siècle, l’eau de Seltz (une eau minérale gazeuse à l’état naturel) séduit l’élite européenne en raison de ses propriétés digestives et diurétiques, surtout après l’épidémie de choléra qui ravage Paris en 1832. On entreprend alors la fabrication d’eau de Seltz artificielle, par adjonction de gaz carbonique dans de l’eau pure.
Outre ses vertus digestives, l’eau pétillante a plus de goût que l’eau plate à cause du dioxyde de carbone qui est transformé en acide carbonique. Quant à la sensation de piquant désaltérante, elle naît des microchocs créés par l’éclatement des bulles de gaz sur la langue. La formule à succès de cette boisson alternative est favorisée encore par l’arrivée de l’eau courante dans les foyers et le développement des mouvements antialcooliques à la fin du siècle: en baptisant son eau naturellement gazeuse « le champagne des eaux de tables », la marque française Perrier surfe sans conteste sur la vague de cet engouement dès les premières années du XXe siècle.
En 1870, on recense 610 sources thermales et minérales en Suisse: le thermalisme est en plein essor, et l’on se baigne autant que l’on boit l’eau, «les prescriptions médicales de l’époque sont assez claires à ce sujet», note Lisane Lavanchy.
En 1880, le docteur Virgile Borel prend la direction des bains d’Henniez et demande au laboratoire cantonal d’analyser l’eau de la source: ses vertus, minérales et thermales, sont alors reconnues scientifiquement. En 1883, une publicité pour Henniez Lithinée vante une «eau bicarbonatée, alcalinée, acidulée, lithinée, idéale contre les rhumatismes, la goutte, l’anémie, les affections nerveuses et gynécologiques». Un parangon de vertu qui pousse la marque à se lancer dans la production industrielle en 1905 grâce à son installation d’embouteillage. Encore baptisée Société des Bains et Eaux d’Henniez, elle vend son eau gazéifiée en pharmacie, sous le nom d’Henniez Lithinée, pour des «cures à domicile». Ce n’est qu’en 1908 qu’on la qualifie d’«eau de table». Dans les années 1920, elle se voit couronnée de quatre médailles d’or aux Expositions nationales de Berne, Bruxelles, Rome et Paris.
Brève définition des eaux, selon la législation suisse
Eau minérale:
issue d’une nappe souterraine spécifique, microbiologiquement irréprochable, naturellement minéralisée et à teneur constante.
Eau thermale :
issue d’une nappe souterraine, dont la température à la sortie de la source est supérieure à 20°C. Elle n’est pas forcément potable.